Piratages

Ramnicu Valcea et les pirates des Carpates

Au pied de ces immeubles construits à la va-vite au temps de la dictature communiste se trouvent des voitures de luxe, au volant, des jeunes de 20 à 30 ans, fiers d’afficher une richesse qui contraste avec l’environnement. 

Bienvenue dans le repaire des hackeurs!

Ces jeunes ont trouvé sur la Toile des opportunités que la réalité roumaine ne peut leur offrir.

Ramnicu Valcea, avec son quartier Ostroveni, est une ville bien connue de la presse américaine qui l’a surnommée « Hackeurville ».

La capitale mondiale du vol sur Internet.

Français, Britanniques, Allemands, Italiens, mais surtout des Américains, qui font leurs courses sur Internet, sont tombés dans le panneau des réseaux roumains du hacking.

Selon la police roumaine, environ 80% de leurs victimes se trouvent aux Etats-Unis.

Citation:

« L’année dernière, les hackeurs roumains ont volé un milliard de dollars aux Etats-Unis », affirme Mark Gitenstein, l’ambassadeur américain à Bucarest.

Travailler en réseau

A Ostroveni, tout le monde est au courant, mais la loi du silence règne dans le quartier.

L’un de ces hackeurs a toutefois accepté d’évoquer son « commerce », sous couvert d’anonymat.

Citation:

« Avec les Américains, c’est plus facile, explique-t-il.
Ces types, même quand ils veulent acheter du pain, ils vont cliquer sur Internet, ils ont l’habitude de tout faire sur le Web. »

Il lui arrive, assure-t-il, d' »embobiner quatre ou cinq types par semaine, en leur soutirant des sommes allant de quelques centaines à quelques dizaines de milliers de dollars ».

« Le monde est grand et il est plein d’idiots prêts à acheter tout et n’importe quoi sur Internet, poursuit-il.

On vend des produits fictifs, on clone des sites et on pirate des cartes bancaires.

En Europe, pour récupérer l’argent, on envoie les « flèches », des types qui n’ont rien d’autre à faire que de retirer l’argent envoyé sur un compte, ils gardent dans les 30% du magot, et le reste ils nous l’envoient via Western Union. »

Vu le nombre d’enseignes Western Union qui ont poussé comme des champignons dans le centre-ville de Ramnicu Valcea, il semble que les affaires marchent bien.

Mais sortir l’argent des Etats-Unis est plus complexe.

Citation:

« Nous avons trouvé une solution légale, indique le pirate.
J’achète une voiture de 120.000 dollars en cash, rien de plus légal.
Je la fais venir en Roumanie où je la vends 80.000 dollars, c’est toujours légal, d’accord, j’ai perdu 40.000 dollars mais j’en ai blanchi 80.000.

Le mec qui l’achète est content, car il économise 40.000 dollars, maintenant, les gars viennent directement nous commander les modèles qu’ils veulent. »

[b]Les hackeurs roumains ont compris l’intérêt de travailler en réseau, c’est ce qui fait leur différence et leur force[/b].

Les « flèches » sont les plus exposées, raison pour laquelle leurs papiers d’identité sont souvent des faux, ils sont initiés aux méandres d’Internet.

Citation:

« On enchaînait les nuits blanches, scotchés devant les ordinateurs, se rappelle le hackeur d’Ostroveni, on prenait des garçons à partir de 14 ans pour nous aider, on emmenait aussi des enfants de l’orphelinat et on leur apprenait les trucs pour qu’ils travaillent pour nous. »

La criminalité informatique est Transrontlière

Le FBI, dont plusieurs spécialistes de la criminalité informatique ont pris leurs quartiers à Bucarest, a formé plus de 600 policiers roumains pour endiguer le fléau.

Une brigade d’enquête spécialisée dans le vol sur Internet dispose de 200 policiers présents dans les 41 départements du pays.

Citation:

« La criminalité informatique est transfrontalière, déclare Virgil Spiridon, le chef de cette brigade spéciale.

Nous avons fait beaucoup de progrès ces dernières années.

La Roumanie coordonne actuellement un programme de lutte contre la criminalité cybernétique à l’échelle de l’Union européenne avec Europol et la Commission européenne. »

La traque et les arrestations de hackeurs se sont accélérées.

En 2011, la brigade roumaine a enregistré un millier d’enquêtes, procédé à 500 arrestations et remis 150 dossiers aux juges.

Côté FBI règne la plus grande discrétion.

Retirés dans un immeuble classé secret situé sur un des grands boulevards de Bucarest, les officiers du Bureau fédéral d’investigation américain sillonnent le monde virtuel pour trouver la trace des hackeurs roumains.

Ils s’inspirent des méthodes des hackeurs, créent des sites de vente où ils passent de petites annonces appétissantes.

Victor Faur, nom de code « SirVic », connaît bien le système, il a été à la tête d’un des réseaux les plus performants de Roumanie. 
Citation:

« Mais j’ai toujours été un hackeur blanc, je ne veux pas être confondu avec les petits cons qui volent sur Internet, précise-t-il, ca, tout le monde peut le faire.

C’est pour cette raison que le FBI leur met la main dessus, ils ne savent pas effacer leurs traces. »

Malgré ses prouesses, SirVic a été arrêté et condamné à six mois de prison avec sursis, et 240.000 dollars d’amende.

Il s’était amusé à attaquer les serveurs de l’agence spatiale américaine, la NASA, pour montrer aux Américains qu’il y avait des brèches dans leur système de sécurité.

Citation:

« Je les ai prévenus pour qu’ils règlent le problème, mais j’ai fait la connerie de me vanter de mon exploit sur un site dont ils avaient l’accès. »

Tout est a vendre,cartes avec code, cartes vièrges

Face à la répression policière, les hackeurs se sont faits très discrets mais ils croient toujours à leur bonne étoile.

Le hacking est-il difficile à apprendre ?

Pour Ice Man, le « prince noir » des hackeurs roumains, voler sur la Toile est très simple.

De son vrai nom Robert Butyka, âgé de 26 ans, il précise d’un ton irrité qu’il ne faut pas confondre hackeur et voleur, que lui ne s’intéresse qu’aux vrais défis d’Internet.

« Oui, voler sur Internet est une affaire simple », insiste-t-il néanmoins. 

Démonstration en quelques clics:

Citation:

« Voilà, j’ai trouvé des types qui proposent à la vente des cartes bancaires avec les codes associés pour l’Italie, la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Espagne. »

Sur l’écran de l’ordinateur défilent des petites annonces.

Tout est à vendre, cartes avec code, cartes vierges, listes d’e-mails extraits de messageries de grandes entreprises et toute une panoplie de programmes pour accéder à des serveurs.

Citation:

« Il faut faire attention quand même, prévient-il.

Une partie de ces annonces est rédigée par les agents du FBI ou de la CIA pour appâter, si tu ne sais pas les éviter tu peux te faire avoir. »

C’est ce qui est arrivé au jeune Iulian Dolan qui, avec trois amis, avait mis la main sur les données de 80.000 cartes bancaires américaines et dérobé plusieurs millions de dollars.

Une femme agent de la CIA jouant le rôle de la fille qui cherche une relation sur Internet a réussi à attirer le cybercriminel roumain, elle lui a proposé de lui payer un billet d’avion pour un séjour dans un casino à Hawaï.

Armé d’une grosse boîte de préservatifs, Iulian Dolan a été menotté dès son atterrissage à l’aéroport Logan de Boston.

[b]Plaque tournante[/b]

Environ 10.000 informaticiens sortent tous les ans des universités roumaines, et une bonne partie d’entre eux travaille actuellement dans les multinationales qui se sont installées en Roumanie.

Citation:

« La masse des informaticiens est très importante et le risque de la criminalité cybernétique est à la mesure, affirme Florin Talpes, informaticien et fondateur de la société Bitdefender. Les jeunes sont les plus exposés. »

« Quand j’ai démarré mon affaire dans les années 1990, la cybercriminalité était un sport individuel, dit-il.

Aujourd’hui, ces gens agissent en groupe et sont organisés comme une société commerciale.

L’avance technologique qu’on a connue ces dernières années profite aussi à ceux qui sont du coté obscure d’internet, ce monde obscur où le vol sur Internet est devenu un vrai business. »

Ramnicu Valcea est une plaque tournante de la criminalité informatique dont les ramifications s’étendent sur plusieurs continents.

Le phénomène a commencé en 1996, et le succès d’une poignée de jeunes a fait boule de neige à l’échelle de la ville.

Ce n’est qu’en 2003, sous la pression des Etats-Unis, que la Roumanie a voté une loi permettant de combattre ce nouveau type de criminalité.

Du haut de son balcon qui a vue sur le quartier des pirates de Ramnicu Valcea, le hackeur d’Ostroveni ne cache pas ses doutes.

Citation:

« Les cerveaux, les gros poissons ont quitté Hackeurville, conclut-il en souriant.
Ils s’installent ailleurs et se fondent dans le paysage aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en France ou en Suisse.

Ce sont des fantômes super-friqués et très discrets, je ne pense pas qu’on les aura. »

 

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